Art Goldhammer has a fine commentary on his French Politics blog on how the American judicial system has handled the DSK case up to now. He argues, among other things, that “for all the sensational coverage and trumpeting of false information by the press, the prosecutor’s office under Cy Vance Jr. did its job.” I agree. Apart from the indefensible perp walk, the leaked photo of DSK in his Riker’s Island cell, and the draconian bail conditions—holding his passport from the outset would have sufficed—, it seems to me that the police and DA’s office did what they should have (Alan Dershowitz is a little more critical; see the link in Goldhammer’s post). Les critiques françaises du fonctionnment de la justice américaine dans cette affaire sont sans fondement. As Goldhammer puts it
Indeed, I think the whole comparison of the two systems is a red herring, an opportunity for cognoscenti to display a certain knowledge of formal structure without considering the actual operation of either system in particular cases, which cannot be done in the abstract. And when you look at the concrete particulars of the DSK case, it is hard to say that there was anything wrong with American justice (apart from the egregious “perp walk,” a Giuliani innovation that unfortunately Cyrus Vance did not try to avoid). There was every reason to believe that DSK might have committed a crime, and every reason to pursue a vigorous investigation after ensuring his continued presence on American soil. It is still not clear that he didn’t commit a crime. All we know at this point is that his accuser is unreliable, but we certainly don’t know whether he did or did not attack her. We may never know, but that is not the fault of American justice. It’s rather the virtue of a system that (at its best) tries as best its can to protect the rights of both accuser and accused. Just as the French system does when it is not tampered with.
À propos, il y a une tribune du juriste Antoine Garapon dans Libé d’aujourd’hui sur quelques différences entre la justice française et américaine (texte ci-dessous). Garapon est, entre autres, co-auteur d’une étude comparée des deux systèmes, Juger en Amérique et en France. Je n’ai pas lu le bouquin—trop de choses à lire, trop peu de temps—mais j’ai assisté a une conférence de Garapon autour du livre, lors de sa sortie en 2003. L’homme est assez brillant et m’a impressionné par sa connaissance intime du système américain, ayant fait, entre autres, du “terrain” pendant une période à la cour d’assises de Chicago (Cook County Courthouse at 26th & California). Stephen Breyer, juge à la Cour Suprême des États-Unis—et parfait francophone—, a écrit la préface.
04/07/2011
France-Etats-Unis : deux façons de chercher la vérité
TribunePar ANTOINE GARAPON Magistrat, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice
Un des tristes avantages de l’affaire Dominique Strauss-Kahn est d’avoir mis à nu – avec quelle violence – les différences culturelles entre la justice américaine et la justice française. Et elles sont profondes. Pour les prendre à la racine, disons que les deux systèmes procèdent de deux formes de vérité, c’est-à-dire de deux manières d’arriver à un énoncé qui sera tenu pour juste par la société à laquelle il s’adresse. Aux Etats-Unis, la vérité est le résultat d’un combat mettant à l’épreuve chaque position, en France elle est le fruit d’une enquête.
Dans le système inquisitoire français, la vérité procède d’une série de constats (auditions, analyses et avis d’experts) effectués par une autorité (institutionnelle et scientifique) qui construit progressivement un récit destiné à entraîner la conviction de juges professionnels. C’est un processus linéaire, continu et temporalisé (certaines hypothèses étant explorées puis abandonnées, d’autres, confirmées, donnent lieu à de nouvelles investigations), le tout consigné dans un dossier qui sera l’unité de sens à partir duquel sera établie à la fin la vérité judiciaire.
Dans le système accusatoire américain, cette vérité se déduit du spectacle d’un combat soigneusement préparé : le moment du trial, le procès. Le rôle de l’institution judiciaire n’est pas d’intervenir directement dans l’affaire pour faire des constatations, mais de monter un spectacle vivant, visible de bout en bout, destiné à permettre à des citoyens, constitués en jury, de désigner le vainqueur. Dans un cas, la vérité se déduit de l’analyse de documents par des professionnels, dans l’autre, elle repose sur la crédibilité accordée à des personnes par d’autres personnes ordinaires. Le constat de la victoire d’un spectacle vivant n’est pas du tout de même nature – et n’exige pas les mêmes compétences – que l’analyse des documents qui étayent un récit ; là on doit être crédible, ici il faut convaincre par la rhétorique ; là on juge sur une impression, ici par une opération déductive ; donc là-bas il faut des citoyens, ici des clercs.
Le but est dans les deux cas de représenter le passé, mais par des moyens très éloignés : si l’enquête reconstitue patiemment et intellectuellement un fait échu, l’autre convertit l’événement du délit en un autre événement, en déplaçant le critère de vérité qui porte sur le combat et non plus directement sur les faits. La vérité est une opération de tri (le mot anglais trial vient de l’ancien français «triage»). S’opère dans la procédure accusatoire un transfert de la question de la vérité sur celle de la régularité de la procédure. L’épreuve ne sert pas à «localiser celui qui a dit la vérité, mais à établir que le plus fort est, en même temps, celui qui a raison», dit Foucault. Le rôle de la procédure est donc moins de conduire à la vérité – notion qui n’a pas grand sens dans la culture américaine – que de garantir que celui qui se montre le plus fort et le plus convaincant dans ce combat ritualisé sera nécessairement aussi celui qui a raison.
Le trial rêve de s’annuler in fine par l’éclat des évidences qui en ressortiront ou, mieux, par le triomphe incontestable – le KO ? – d’une thèse. D’où le terme d’evidence pour désigner le droit de la preuve ; d’où aussi le fait que la plupart des procès s’épuisent avant d’arriver à terme. La sentence n’est en effet pas centrale. D’ailleurs, dans la vielle common law, on parlait très peu de l’issue des procès, c’est-à-dire de jugement censé exprimer pour nous la vérité : seule existe la désignation du vainqueur. Cela explique aussi le pourcentage élevé de transactions, ce qui choque encore les Français qui ont le sentiment que la vérité morale du fait est évacuée. Bref, alors que la finalité du jugement français est d’établir la vérité, celle du trial est la justice, produite par la loyauté (fairness) d’un combat.
De ces différentes formes de vérité découlent des subtiles différences qui ne sont pas visibles à l’œil nu du juriste. Lorsque le procès est conçu comme une épreuve et un combat, l’accusation prend valeur de défi qui oblige la défense à tenir tête à l’accusation. Cela n’est pas absent, comme on l’a vu, dans l’affaire DSK. Si la stratégie, en tant qu’art du jeu, est une des qualités principales de l’avocat américain, c’est l’esprit de méthode qui caractérise l’enquêteur. Dans un cas l’important est le contradictoire, dans l’autre – le combat – l’égalité des armes. La forme procédurale, formalité pour contrôler voire brider l’acteur public dans un cas, représente, dans l’autre, le moyen de rendre productive la rencontre conflictuelle de deux volontés. La publicité est inhérente à la procédure accusatoire alors que l’enquête requiert la confidentialité (qui ne doit pas être confondue avec le secret car le contradictoire y règne davantage dès le début). Dans la justice américaine, le spectacle est le support de la vérité, non le cadre du contrôle public d’un récit largement écrit en amont comme l’est l’audience ici : d’où, aux Etats-Unis, la pertinence d’un vocabulaire dramaturgique (intrigue, suspense, coups de théâtre, retournement, etc.) pour rendre compte d’une affaire, alors que c’est la métaphore religieuse qui correspond mieux en France (cérémonie de parole, liturgie pénale).
Sous les habits d’un vocabulaire juridique d’une trompeuse proximité, la grammaire de la vérité, on le voit, est profondément différente de part et d’autre de l’Atlantique. Et elle s’appuie sur des croyances différentes : nous autres Français croyons à l’écrit plutôt qu’aux témoignages, et nous faisons spontanément plus confiance à la police qu’aux détectives payés par une partie, nous préférons l’Etat au privé. C’est tout le contraire aux Etats-Unis. Ces formes de vérité ont enfin partie liée à des formes de société (communauté morale en France, société d’immigration plus segmentée aux Etats-Unis) et à des formes de pouvoir (un organisateur symbolique centralisé en France, une administration a priori suspecte et fédérale aux Etats-Unis). Faut-il alors s’arrêter à ce relativisme désespérant ? Cela serait oublier que les sociétés communiquent par leurs utopies, et nos deux démocraties ont une grande utopie commune : assurer l’égalité de tous devant la loi et faire triompher la raison du droit contre la raison d’Etat et les passions de la foule. Encore faut-il se parler et non s’invectiver.
Dernier ouvrage paru : «Juger en Amérique et en France», avec Ioannis Papadopoulos (Odile Jacob).
© Libération
Leave a comment